L'année dernière, à peu près à la même période, mon cousin et moi décidons d'aller explorer un écosystème forestier exceptionnel : l'érablière à caryers ovales du campus de l'Université Bishop's, à Lenoxville, tout près de Sherbrooke. Lui (MrJuglans), étant ingénieur forestier, et moi (hickorie), étant alors étudiant finissant en architecture de paysage à l'Université de Montréal, avons peine à croire que ce type d'écosystème puisse se retrouver en plein coeur des Cantons-de-l'Est. Une érablière, oui, mais accompagnée de caryers ovales... Il doit y avoir une erreur dans la documentation sous laquelle nous étions tombée. Que cela ne tienne, nous décidons d'y aller pour en avoir le coeur net.
Plutôt excités, mais en même temps perplexes, nous arrivons sur la rue College, celle sur laquelle est sise l'Université Bishop's, l'une des plus vieilles universités du Québec (1843). Intérieurement, je pense revoir la forêt que j'avais arpentée 4 ans auparavant, au confluent des rivières Saint-François et Massawippi... Cette forêt où j'avais vu de beaux spécimens de noyers cendrés naturels, de cerisiers tardifs, de bouleaux jaunes et de saules dont je n'ai pu compléter l'identification. Mais, à ma grande surprise, plutôt que d'entrer sur le campus de l'université - passage obligé pour accéder à cette forêt - mon cousin bifurque sur le chemin Moulton-Hill. Je viens de comprendre qu'il détient une information qui m'avait échappée. Cette forêt exceptionnelle serait située non pas sur le campus de l'Université Bishop's, mais bien sur les terres du Bishop's College School, l'établissement collégial du complexe Bishop's qui comporte une université, mais aussi... un CÉGEP !
Nous traversons donc la rivière Saint-François, pour nous retrouver sur la rive nord de celle-ci. J'aperçois maintenant la forêt que nous venons voir. Ironiquement, elle est située en face de l'autre parcelle de forêt que j'avais scrutée à la loupe quelques années plus tôt. Nous trouvons un endroit pour stationner la voiture à quelques pas d'un sentier pédestre qui pénètre l'étendue boisée. De grands chênes à gros fruits, plantés il y a au moins un siècle, se succèdent jusqu'à ce que nous arrivions au sentier que nous décidons d'emprunter. L'attente fut de courte durée. Aussitôt entrés dans la forêt, nous percevons un tronc d'arbre à l'écorce très particulière. Nous la connaissons; nous l'avons vue à maintes reprises dans l'ouest de l'île de Montréal, à Baie-d'Urphé et à Sainte-Anne-de-Bellevue notamment. Il s'agit, bien entendu, de l'écorce du caryer ovale ! Nous sommes hébétés. Les documents que nous avions lus disaient bel et bien la vérité... Déjà satisfaits de notre journée, nous l'observons intensément, afin de nous convaincre qu'il s'agit bien de cet arbre auquel nous vouons un grand respect. L'écorce est bien celle d'un caryer ovale ? Oui, comment se tromper. Elle est si particulière... Composée de plusieurs lamelles, retroussée aux deux extrémités, elle donne un aspect négligé à l'arbre comme dirait ce bon vieux John Laird Farrar ! Les feuilles sont bien composées de plusieurs folioles, un peu à l'image du frêne. Mais, qu'est-ce qui pourrait nous certifier à 100% qu'il s'agit d'un caryer ovale ? Mais oui, nous sommes à la fin du mois de septembre et c'est la période des semences forestières. Nous nous empressons de fouiller la litière, afin de trouver ses fameuses noix et... Bingo ! Je trouve un fruit, composé d'un brou vert épais et s'ouvrant en quatre valves. Puis, un autre et un autre. Bien évidemment, nous les conservons dans le but de les ramener à la maison et éventuellement de les faire germer. Au sol, on voit aussi plusieurs noix ouvertes... Les écureuils se sont mis au travail il y a déjà longtemps. Ils ne nous ont pas laissé grand chose, puisque, vu du bas, l'arbre ne semble pas porter beaucoup de fruits. De plus, les première branches sont situées à plusieurs mètres de hauteur, ce qui place les fruits hors d'atteinte. Mais bon, nous ramassons ce que nous pouvons trouver et continuons notre chemin à la recherche d'autres arbres du genre.
Et voilà que nous en voyons un par là et un autre de ce côté. Nous réalisons qu'ils sont omniprésents, et ce à tous les stades. Effectivement, il y a des caryers ovales matures, mais aussi de nombreux semis, ainsi que plusieurs gaulis et perchis. Nous réalisons que nous nous trouvons dans une forêt des plus spéciales. Recherchant d'autres semences de ces précieux caryers, un autre sujet pique notre curiosité. Un tout petit arbre au tronc torsadé et à l'écorce très lisse et gris souris se dresse au bord du sentier. Il s'agit d'un arbre que je connais bien, mais sans jamais l'avoir vu en vrai. C'est le charme de Caroline ! En nous approchant de celui-ci, afin de le toucher, nous nous rendons compte qu'il y en a çà et là. Et le plus beau, c'est que, eux aussi, sont remplis de fruits. De très nombreuses grappes de semences ailées pendent à partir des petites branches étalées des charmes qui, je le sais maintenant, ont été un vrai coup de coeur pour moi ! En sortant du sentier, afin d'observer tout cela, on peut voir plusieurs espèces végétales que nous ne sommes pas habitués de voir en association. Le noyer cendré, le cerisier tardif, le tilleul d'Amérique, le Charme de Caroline, l'érable à sucre, le chêne à gros fruits, le caryer ovale, le pin blanc, le bouleau jaune meublent l'espace et contribuent à faire de cette excursion une riche expérience végétale.
Une bonne partie de l'avant-midi passe, puis nous reprenons le sentier et déambulons au gré de la rivière Saint-François que nous longeons, elle qui se trouve à quelques mètres de nous seulement. Une question vient alors s'immiscer dans la discussion. Comment ces caryers ovales sont-ils arrivés ici ? Par la rivière à partir du fleuve Saint-Laurent ? Bien non. C'est impossible, puisque la rivière coule vers le fleuve Saint-Laurent et non pas l'inverse... Une plantation humaine ? À mon sens, c'est peu probable quand on voit à quel point cette forêt semble naturelle et non perturbée par l'homme (hormis le sentier pédestre aménagé). À voir le caryer ovale qui se présente à tous les stades de croissance et qui semble intrinsèquement lié à son écosystème, on a peine à croire qu'il ait été introduit « artificiellement ». La journée se termina sur ce questionnement qui resta sans réponse et qui l'est depuis ce temps...
Je vous pose donc la question à vous tous. Selon vous, quelle est l'histoire de ces caryers ovales ? Comment sont-ils arrivés là et qu'est-ce qui les attend ?
Un jour, si vous passez par là, prenez le temps d'aller marcher dans cette petite forêt qui ne manquera pas de vous surprendre...
Voici quelques photos qui vous permettront de visualiser le tout.