La forêt de M. Eberts
(Sainte-Catherine-de-Hatley, Québec)
Aux abords du lac Massawippi, sur la terre de M. Eberts, on trouve cette magnifique forêt qui serait, selon toute vraisemblance, une forêt refuge. Ce secteur n'est pas officiellement répertorié dans les écosystèmes forestiers exceptionnels du gouvernement du Québec, car comme cela a été mentionné plus haut, il s'agit ici d'une terre privée.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, cette forêt a échappé à l'activité humaine et ce, malgré sa position géographique défavorable. C'est-à-dire que la plupart des forêts du sud de la province ont un jour ou l'autre goûté au désir expansioniste de l'être humain... Pas celle-là. Bien entendu, ce n'est pas une forêt vierge parce que l'homme y a déjà tenu quelques petits travaux. Ces derniers, bien que mineurs, ne permettent pas de qualifier cet écosystème de forêt vierge. Lesdits travaux consistaient, par exemple, à enlever des arbres versés ou tombés qui nuisaient à d'autres arbres encore sains. Aussi, des petits chemins forestiers ont été aménagés çà et là il y a plusieurs années, mais depuis ce temps, rien n'est venu chambardé l'équilibre naturel de l'endroit. Beaucoup de grosses coupes de bois ont eu lieu non loin de là depuis que l'homme a colonisé l'endroit et il est parfois très facile de voir la délimitation de cette forêt avec celles des alentours, lorsqu'on se trouve à ses extrémités. Une raison qui pourrait expliquer pourquoi ce secteur a été épargné de la main de l'homme, c'est que celui-ci, comme quelques autres dans les environs, se trouve sur des collines fortement inclinées et très accidentées. Dans le cas de cette forêt, ces collines plongent directement dans le lac Massawippi où ce dernier peut atteindre des profondeurs allant jusquà 80 mètres. Cela donne une bonne idée du genre de terrain auquel on a affaire.
Si ce n'était du fait que cette forêt a légèrement été touchée par l'homme, on pourrait la qualifier de forêt ancienne, car toutes les autres conditons pour que ce soit une forêt ancienne sont respectées. En effet, dans cette forêt dominée par de grosses tiges, on trouve à la fois des arbres vivants, sénescents et morts, des chicots. On trouve aussi une multitude de gros troncs en décomposition au sol, ainsi qu'une végétation compagne très caractéristique d'une vieille forêt.
Cette forêt est typiquement une érablière à tilleul, comme on devait en trouver beaucoup autrefois dans le sud de la province et plus précisément dans les Cantons de l'Est et dans le Centre-du-Québec. Ici, le tilleul d'Amérique (tilia americana), le noyer cendré (juglans cinerea), le frêne blanc (fraxinus americana) et le hêtre à grandes feuilles (fagus grandifolia) accompagnent l'érable à sucre (acer saccharum) qui s'y trouve en grand nombre. Ce sont des espèces de fin de règne caractéristiques de l'érablière à tilleul. Fait intéressant, le noyer cendré est particulièrement abondant dans cette forêt et il est tout-à-fait naturel. Il faut dire que cet arbre est désigné en voie de dispariton, et ce autant par le gouvernement du Canada que celui du Québec. En lien avec l'abondance relative de ces noyers cendrés, un ancien petit bled de la région portait le nom de Butternut flat (Butternut signifiant noyer cendré en anglais).
Si on revient à la forêt qui nous intéresse, on y trouve aussi d'autres espèces, un peu moins présentes, mais qui toutefois méritent d'être rapportées, telles que la pruche du Canada (tsuga canadensis), le bouleau jaune (betula alleghaniensis), le bouleau à papier (betula papyrifera)et l'ostryer de Virginie (ostrya virginiana). Beaucoup de plantes herbacées et de fougères parfois rares sont présentes dans ces collines. C'est le cas par exemple de l'adiante du Canada (adiantum pedatum), fougère désignée vulnérable par le gouvernement du Québec. On peut aussi parler de la présence de plantes comme, la cardamine carcajou (cardamine diphylla) et l'asaret du Canada (asarum canadense), aussi connu sous le nom de gingembre sauvage. Ces trois dernières plantes sont désignées vulnérables à la cueillette par le gouvernement du Québec.
Avec la présence de tous ces végétaux peu communs, on pourrait aussi dire que cet écosystème forestier exceptionnel constitue une forêt rare, mais il est tout de même important de mentionner que la rareté de ces espèces est souvent anthropique. C'est-à-dire que c'est la présence de l'être humain qui a rarifié ces espèces; auparavant, elles étaient beaucoup plus fréquentes, voire communes. Il est sans doute préférable de qualifier l'endroit de forêt refuge.
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Frédérick M. Gladu
B.Sc.A. Architecture de paysage, Université de Montréal